vendredi 21 décembre 2012

Mon CyberMoi n'est pas à vendre ! Vraiment ?

"On a conscience avant, on prend conscience après" (Oscar Wilde)
En réflexion sur la rédaction de « do’s and dont’s » sur les réseaux sociaux à l’intention des employés, après avoir rédigé les habituelles règles de bon sens en matière de communication qu’il est parfois nécessaire de rappeler (sans prendre les collaborateurs pour des gosses et en axant ces « guidelines » autour de la confiance, bien évidemment), je me suis dit qu’il était sans doute aussi important de mettre en évidence certains risques plus « macros » auxquels nous ne pensons pas toujours spontanément en nous inscrivant sur les réseaux sociaux. 
Lorsque je me suis inscrit sur les réseaux, j’avais un rêve de collaboration, de partage, j’y ai vu les opportunités en termes de suppression des barrières géographiques en matière de communication inter-personnelle et communautaire, la conversation sur les bonnes pratiques, le fait de pouvoir développer et entretenir mon réseau professionnel sans devoir rencontrer forcément les gens « IRL » (« In Real Life », dans les colloques, réunions, workshops, salons pros, etc.) mais en ayant la volonté d’échanger librement, de partager avec eux des connaissances/pratiques et d’apprendre « autrement ».
Et la semaine dernière : (re)prise de conscience… Les réseaux sociaux, c’est avant tout un énorme business. Pas que je n’en étais pas conscient, non, car je garde toujours à l’esprit que si un service est gratuit pour un utilisateur, c’est que ce dernier est lui-même le produit mais les événements de ces derniers jours ont affûté ma conscience qui avait été endormie par l’enthousiasme de la collaboration. « Back to reality », les enjeux commerciaux étant ce qu’ils sont, les réseaux sociaux aujourd’hui s’écartent de plus en plus du rêve du partage et de la collaboration, bien loin du monde des « Bisounours ».
Donc, j’ai décidé qu’il était important de rappeler certains constats de base dans l’élaboration des recommandations à mes collègues. Ces rappels sont au nombre de trois… et comme une piqûre de rappel ne fait jamais de tort, j’ai choisi de les partager ici avec vous.


1.       Facebook n’a aucunement l’intention de protéger vos données. Ils ont récemment tenu un « pseudo-référendum » dont la communication a été noyée au milieu d’un tas d’autres éléments dans un message adressé aux utilisateurs. Devant le faible taux de participation (rejetant pourtant leurs propositions de modifications en masse), ils ont décidé de ne pas tenir compte des réponses des utilisateurs pour faire passer des règles qui les arrangent évidemment. La recommandation qui en découle est : gardons à l’esprit que nous devons y publier des contenus en pleine conscience qu’ils finiront par faire ce qu’ils veulent de ceux-ci, soit pour une utilisation pour du « data mining », de la prédiction de comportement de consommation, de la publicité individualisé, de la revente de base de données, etc. Mieux vaut ne pas être dupe. Personnellement, je ne pense pas que ce que j’y publie les intéresse et  je me fous plus ou moins de ce qu’ils peuvent en faire. Mais si tel n’est pas votre cas, évitez de publier toutes vos photos de vacances, de liker tous les produits que vous consommez, d’indiquer vos opinions politiques et religieuses, etc. Le truc important, c’est de réfléchir avant d’agir, d’anticiper les conséquences possibles d’un publication, de ne pas publier compulsivement des images ou propos qu’on pourrait regretter, parce qu’ils sont blessants, péremptoires ou nuisent à notre « e-réputation » ou simplement sans aucun intérêt. Si iotre « Timeline » est perçue par les autres comme un reflet de vous, elle est  aussi perçue par Facebook (et les réseaux sociaux en général) comme une mine d’informations monnayables.
2.       Il existe une concurrence acharnée entre les réseaux sociaux et ce n’est jamais l’utilisateur qui en sortira gagnant. Pour exemple, il suffit de mentionner la guerre que se livrent Twitter et Instagram ou encore la disparation ultra rapide de l’ancienne version de MySpace lorsque Facebook est monté au-devant de la scène. Si l’un ou l’autre réseau disparaît sous la pression concurrentielle, perdez l’illusion que vous pourrez récupérer vos données : tout ce que vous y avez publié sera effacé avec la fermeture du réseau. Veillez donc à ne pas utiliser les réseaux sociaux comme un outil unique de bookmarking ou de backup ou alors, multipliez les lieux de dépôts.
3.       Les conditions générales ne sont pas gravées une fois pour toute dans le marbre. Ces conditions ne cessent d’être modifiées sans communication trop visible, certainement aussi pour « noyer le poisson » d’une certaine façon. Ce qui est vrai le lundi peut être modifié drastiquement le mardi. Je ne connais personne dans mon entourage  qui a eu la ténacité de lire les dizaines de pages qui détaillent ces conditions d’utilisation. Exemple récent de ces modifications, Instagram vient d’ailleurs de se donner le droit d’utiliser toutes les photos publiées par ses membres à des fins commerciales. On peut crier au scandale, diffusez des messages virulents à leur encontre, dénoncer ces changements intempestifs et unilatéraux mais finalement, c’est leur droit premier, ce sont les fournisseurs d’un service qui vous est offert gracieusement. Je vous l’ai déjà dit : si vous profitez d’un service gratuit, c’est que VOUS êtes le produit. Et au jeu de la manipulation, ils sont les plus forts : quoi de plus efficace que de vous laisser faire joujou avec  leurs solutions gratuites pour ensuite « contraindre librement » des utilisateurs qui sont bien engagés sur le réseau, à coup de petits changements qui passent inaperçus (ou pas d’ailleurs, cf. Instagram) et qu’ils suffit de confirmer via le clic sur « OK ». Ils jouent sur des leviers très connus en psychologie sociale dans le cadre de ce qu’on appelle la théorie de l’engagement, la soumission librement consentie, l’effet de gel, l’influence sociale plus généralement (voir bas de page pour quelques lectures sur le thème de l’influence, je reviendrai sans doute sur tout cela dans un autre billet). À bon entendeur… à nouveau, personnellement, je n’ai pas la prétention de croire que les photos que je publie sur Instagram ont la moindre valeur commerciale, ni même qu’elles puissent simplement attirer leur attention. Mais il est important d’en être conscient.
Alors, faut-il tout jeter à la poubelle, se désinscrire massivement de tous les réseaux sociaux ? je pense que non : les avantages collaboratifs qui en découlent, les possibilités d’interaction, de partage, de découverte, etc. l’emportent largement sur les risques susmentionnés.
Sur le plan professionnel, j’ai rencontré plus de personnes intéressantes, ai eu  plus de propositions de collaboration et ai partagé plus de « best practices » en 2-3 ans qu’en 10 années passées à construire un réseau international au travers exclusif des workshops, séminaires, colloques  et autres meetings.
Avec le recul, j’irais même plus loin : sans les réseaux sociaux, je n’aurais jamais eu l’opportunité de participer à certains projets innovants, de rencontrer des personnes ou d’être invité à intervenir dans certains workshops et colloques ou tout simplement de profiter de l’expérience de « significant others » professionnels.
Les réseaux sociaux sont donc un excellent catalyseur pour booster le développement d’un réseau professionnel réel, pas uniquement de façade ou virtuel. Il faut simplement (parce que c’est réellement simple) les utiliser à bon escient et en pleine conscience des enjeux.
Bonne fin du monde à toutes et tous et joyeuses fêtes …
 Un peu de lecture (peut-être aussi des idées de cadeaux à mettre sous le sapin) :
·        Dans le registre ludique et didactique : Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois (2002). Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
·        Des mêmes auteurs mais plus exhaustifs sur leur théorie : Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois (1998), La soumission librement consentie, Paris, Presses Universitaires de France.
·        Un best-seller en anglais, didactique et ludique : Robert Cialdini (2001). Influence: Science and practice (4th ed.). Boston: Allyn & Bacon
·        Et puis le livre de vulgarisation illustré d’un pote français dans le registre plus large de la psychologie sociale : Sylvain Delouvée. Pourquoi faisons-nous des choses stupides ou irrationnelles ? Dunod

jeudi 27 septembre 2012

La Qualité "ma tuer"...

En cette période de crise, je constate le retour d’un certain engouement pour l’implantation de Systèmes de Management de la Qualité (SMQ : EFQM, CAF pour la fonction publique, ISO, etc.) et les certifications liées. Comme si ces certifications étaient les garanties d’une organisation efficiente, réglant tous les problèmes, produisant des collaborateurs compétents et réduisant les coûts inutiles dans l’organisation.

Ces systèmes émergent historiquement de la Qualité Totale, dont l’origine est à trouver du côté du Japon et de l’entreprise Toyota. C’est dans ce mouvement de la Qualité Totale que sont nés les concepts de« zéro stock », « zéro délais » et « zéro défaut ». L’idée est de délivrer des produits ou des services (au sens large puisque l’on retrouve aussi ces démarches dans le secteur public, l’enseignement, etc.), en améliorant continuellement les résultats et les performance de l'entreprise grâce à une standardisation des processus de travail.

Comme une certification se paie, les organisations qui entrent dans ces démarches dépensent beaucoup d’argent en consultance, accompagnement, etc., mais aussi beaucoup de temps pour effectuer les analyses, relever les anomalies, constituer des groupes de travail, développer des mécanismes de contrôles, créer des indcateurs… afin d’obtenir le fameux sésame « Qualité » (sachant que la certification n’est évidemment valable qu’un temps et que la démarche est à refaire de façon récurrente). 

En fait, comme je le dis souvent, dans mon job de knowledge manager et de conseiller RH: « je ne suis pas l’ami des certificateurs ISO » et ce pour plusieurs raisons.

1. Focalisation sur les problèmes


La démarche qualité est orientée sur les problèmes plutôt que sur les solutions, sur les dysfonctionnements plutôt que sur ce qui fonctionne… cela a pour effet d’induire une dynamique spécifique qui, à ce que j’observe, n’est absolument pas motivante pour les collaborateurs. Je ne connais personne qui trouve géniale l’idée de relever tout ce qu’il fait mal plutôt que de valoriser ce qu’il réussit dans l’entreprise.
En outre, ce type de démarche demande la mobilisation d'un grand nombre de personnes et du temps qui va avec pour décrire tous les processus, remplir des fiches, remplir des modèles, etc. qui permettent de relever les problèmes, développer les procédures de contrôle, des calculs d'indicateurs qui sont tellement spécifiques et/ou futiles que personne ne s'en préoccupe.

Cette façon de faire permet aussi à certains managers de se planquerderrière ces procédures plutôt que d'assumer leur rôle de leader(« ah, ce n'est pas moi qui dit qu'un problème se pose, c'est la procédure ») mais peut leur donner l'illusion qu'ils ont le plein contrôle sur le fonctionnement des opérations puisque tous les problèmes seraient identifiés par le système.


2. Focalisation sur les processus et les mécanismes de contrôle



La démarche qualité est orientée sur les processus au lieu de se focaliser sur les objectifs, avec pour effet de générer des mécanismes de contrôle répétés et de fixer un cadre très strict de réalisation des tâches. Si vous avez lu mes autres billets, vous devez vous rendre compte que je me suis réticent à vouloir à tout prix contrôler les employés.

Le contrôle déresponsabilise, désengage et démotive les collaborateurs… Alors qu’ils connaissent leur métier et sont les plus à mêmes de le réaliser (si on leur fixe des objectifs bien définis avec des deadlines concrètes). Alors que faire confiance et leur donner de l’autonomie dans les tâches les motive à améliorer leurs pratiques et surtout à coopérer, à partager, à contribuer aux objectifs de l’organisation. Alors que leur faire confiance suscite l'innovation et le partage des connaissances.


Par ailleurs, les procédures de communication ascendante des problèmes et de descente des décisions finissent par biaiser la communication. Les collaborateurs tenteront de masquer les problèmes ou deviendront amers si leurs propositions d’améliorations ne sont pas écoutées par le management. Cela complique et ralentit la chaîne décisionnelle alors que les collaborateurs connaissent généralement la solution ou peuvent être motivés à en trouver une si on leur laisse une part de liberté et d’autonomie. En fait, la logique « pyramidale » de décision (avec les employés en bas au plus proche des clients, l'encadrement au milieu et le top-management au sommet) peut être carrément inversée pour permettre aux collaborateurs d'apporter directement la solution, même si cela sort de la procédure, à partir du moment où cela cadre avec les objectifs de l'organisation.
Les tenants du « punk management »  affirment même que la créativité et l'innovation passent par la transgression des procédures si celles-ci n'offrent pas de solution adéquate.





Généralement, comme le pointe Isaac Getz, il faut savoir que les processus de contrôle sont mis en place pour 3% d’employés (en moyenne dans les organisations) qui ne « jouent pas le jeu » et trichent avec le système. Les contrôles vont certes permettre de détecter ces 3% mais à quel prix ! Par ailleurs, savez-vous ce qui se passera lorsque vous aurez détecté et « éliminé » ces 3% ? et bien vous retrouverez à nouveau 3% de tricheurs et vous ajoutez à cela une bonne part d’employés désengagés (voir billet de juin 2012). Une voie peut être d'ajouter des contrôles supplémentaires, d'approfondir la description du processus, de développer de nouveaux indicateurs.

Avec le temps et les ajustements (alourdissements?) du système, le risque majeur de produire ce qu'on appelle une « usine à gaz », totalement hermétique et incompréhensible pour les non initiés et d'arriver à des situations ubuesques.

J'en veux pour exemple le prix « anti-nobel » remis cette année au Government Accountability Office (USA) pour son « rapport sur ​​les rapports au sujet des rapports recommandant la préparation d’un rapport sur le rapport au sujet des rapports sur les rapports » (voir article France Info)

Et donc le système de qualité appliqué à outrance finit par transformer l'organisation en ceci... un enchevêtrement inextricable de procédures que plus personne ne maîtrise et qui peuvent même se contredire en termes d'objectifs:

Le temps transforme le SMQ en mastodonte, en un montage hyper-détaillé de procédures et de points de contrôles très (trop) précis dont l’utilité générale n’est pas visible mais qui installe une contrainte en plus sur la tête des employés.

En se passant de ces démarches (et donc en réduisant aussi les coûts), il est possible de suivre une autre voie pour rendre une organisation performante et efficiente : donner aux employés une grande part d’autonomie, de liberté. Il y a ainsi davantage de chance de les transformer en forces de propositions dans l’entreprise. Ils auront envie de s’y investir, forts de la confiance qu’on leur accorde. Ils prendront des risques, ils tenteront de nouvelles choses. Ils se montreront innovants et auront l'envie de collaborer avec leurs collègues, de partager leurs bonnes pratiques. Cela n'est évidemment possible que si l'erreur est permise dans une certaine mesure (ce que ne tolèrent pas les système de management de la qualité).

Bien évidemment, il faut trouver la balance entre les règles communes, le cadre général commun à tous les collaborateurs, et la liberté qu’on leur laisse pour exprimer leur talent et développer leur potentiel. Pour citer Ilios Kotsou (UCL) que je viens d'entendre lors d’un workshop sur le « Bonheur au travail », l’organisation est comme un champ : elle a besoin de règles qui orientent le développement de tous ses plants mais chaque plant doit disposer d’un espace de liberté propre pour exprimer le meilleur de lui-même.


Je trouve que cette métaphore illustre bien le nécessaire équilibre entre équité et liberté au sein d’une entreprise : les employés doivent d'une part être considérés équitablement et se plier aux mêmes règles de fonctionnement mais ils doivent d'autre part disposer d’une bonne marge d’autonomie pour travailler à l’atteinte de leurs objectifs comme ils l’entendent… le tout étant évidemment, je le répète, de fixer des objectifs clairs et délimités dans le temps (et mesurables, etc…)


3. L'illusion des chiffres et de la statistique

Les démarches Qualité dérivent souvent dans une approche statistique hyper-détaillée : il faut quantifier, mesurer, enregistrer, compiler un tas d’indicateurs (idéalement : chiffrés et basés sur de belles formules) qui permettent de relever les dysfonctionnements (mais quid d'indicateurs « d'innovation », de « partage de bonne pratique », de « coopération », de « dynamique relationnelle positive », etc.)…



Pourtant, croire que tout se mesure à travers un chiffre est une illusion (et c’est un ancien chercheur en recherche quantitative qui vous le dit). Non, tout se mesure pas et il faut pouvoir en faire le deuil. La qualité d’un service au contact des clients/usagers/citoyens ne se mesure pas au temps passé avec celui-ci, encore moins au nombre de personnes vues sur une seule journée.


La qualité d’un service au contact du client se mesure de façon qualitative, par la nature positive de la relation client, au suivi de son dossier, à l’engagement de l’employé à trouver des solutions, etc. Et tenter de décrire cela dans une procédure à suivre, avec des indicateurs chiffrés, risque forcément de briser l'enthousiasme d'employés compétents que l'on cantonne dans un processus rigide.

A nouveau, nous sommes devant le risque de transformer la démarche de départ en usine à gaz, remplie d'indicateurs qui ne parlent à personne et qui ont été uniquement créés pour satisfaire à une contrainte du système qualité, et qui n'ont pas de sens pour le top-management qui attend des indicateurs clairs et généraux par rapport aux objectifs stratégiques de l'organisation (les fameux KPI's – Key Performance Indicators).


Devant cette dérive statistique, je me demande de plus en plus si, finalement, les Systèmes de Management de la Qualité ne devraient pas être renommés Systèmes de Management de la Quantité...



Un dernier point qui m'est cher pour la route...
Ces démarches entrent aujourd’hui dans des secteurs comme le travail social, où il est certes important de donner les moyens aux« usagers » de s’en sortir, de passer du temps avec eux pour trouver des solutions mais où il n'est pas possible de vérifier que la démarche de suivi a mené au succès, que l’usager est satisfait, etc. (est-ce seulement souhaitable dans la mesure où cela tient à la volonté de l'usager lui-même de se « prendre en main » ?).
Dans ce domaine, les choses ne fonctionnent pas comme une entreprise, il n’est pas question de performance mais uniquement d’efficience (et encore, car les travailleurs sociaux dépendent de partenaires externes qui peuvent « prendre leur temps » pour leur fournir des réponses). Pour traduire cela concrètement, les travailleurs doivent mettre en œuvre leurs compétences pour répondre à la demande des usagers en évitant au maximum les démarches et dépenses inutiles. Il ne faut en aucun cas tomber dans le piège de la procédure fixe et de la statistique qui mesurerait le temps passé avec l’usager, celui nécessaire pour exécuter une tâche précise, le nombre de personnes vues, etc… Cela se paierait en termes de motivation, d’engagement et d’implication dans les activités. Les employés seraient certes de bons petits soldats respectant les standards mais le sens de leur activité disparaîtrait certainement, tout cela pour une simple raison de « cost cutting » dans un secteur où les subsides ne tombent pas du ciel et ne dépendent pas de la vente d’un produit. 

Alors, le message que j’adresse aux managers de ce type de structure est à nouveau : «lâchez prise, faites confiance à vos employés, travaillez ensemble à la recherche des meilleures solutions, ils vous les apporteront… Si vous les cantonnez dans un cadre rigide bourré de contrôles, ils s’y conformeront majoritairement certes, mais il ne vous apporteront aucune « valeur ajoutée » en termes d’innovation et d’engagement dans leur travail, vous n’aurez que l’illusion de gagner du temps et de l’argent ». Comme déjà précisé ci-dessus, Je ne parle donc pas d’anarchie mais de liberté où chacun peut apporter sa contribution aux objectifs de l’organisation et a des objectifs clairs pour ce qui le concerne. Le sentiment de liberté est déterminant dans le déclenchement d’une action.
Bref,...
les procédures et les contrôles ont un impact négatif sur l'autonomie et la liberté des collaborateurs. Or la liberté et l'autonomie appuyée par la confiance donnée par le management renforce la responsabilisation, l'enthousiasme et l'engagement des travailleurs. Cela les motive aussi à collaborer,partager leurs connaissances et contribuer volontairement aux objectifs de l'organisation. Alors, faut-il vraiment vouloir toujours contrôler davantage pour avoir une organisation efficiente ?

jeudi 23 août 2012

Les humains ne sont pas des sardines : ne les mettez pas en boîte !

« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre » (Le Prisonnier, 1967)

Depuis quelques années, des cabinets de consultance RH proposent des outils qui vous suggèrent de mieux cerner votre personnalité, celle de vos collaborateurs.  Ces outils pour mettre des étiquettes sur les gens explosent réellement sur le marché et il est difficile de les ignorer. C’est même devenu un sacré business.  On nous parle de MBTI, HBDI, Process Com, ComColors, etc. etc. 

Et pour utiliser ces modèles (qui finalement s’inspirent souvent des mêmes principes ou se nourrissent l’un de l’autre, il faut – bien évidemment – disposer de la certification adéquate (coûteuse, il va de soi).
Alors…
·         Etes-vous un « cerveau gauche » ou un « cerveau droit » ?
·         Etes-vous « visuel », « auditif », « olfactif », « kinesthésique » ?
·         Etes-vous un « rouge » émotionnel, un « bleu » rationnel, un « jaune » créatif ou encore un « vert » méthodique ?
·         Etes-vous ENTJ, ISTJ, INTJ, ESTJ, etc. ?
·         Etes-vous un « rebelle » (yeah baby yeah..), un « travaillomane », un « rêveur », etc. ?
·         Dans quelle boîte devons-nous vous ranger ?

[petite digression] Cette tendance à l’étiquetage existe bien évidemment dans le monde en général autour de nous sur des variables plus socio-démographiques, politiques, sociologiques, etc. Par exemple, et comme c’est très à la mode, vous pouvez vous identifier comme un « digital native » de la génération Y, un digne représentant de la génération X ou encore un « baby boomer » ? Etes-vous de « gauche » ou de « droite » (politiquement) ? Etes-vous « francophone » ou « néérlandophone » ? Etes-vous « grand » ou « petit » ? Etes-vous « hétéro », « gay », « bi », etc.  Personne ne peut s’empêcher de catégoriser tout ce qu’il perçoit, de le mettre dans une boîte.
La tendance spontanée à catégoriser la réalité commence dès la perception, dans le registre de l’inconscient. Ce que l’on perçoit active tout un tas de schémas mentaux dans notre esprit. Pour les « motivés », lisez ce chapitre de John Bargh, psychologue social spécialisé dans ce qu’on appelle l’automaticité comportementale. Il décrit et explique à quel point nous percevons, interprétons les choses et agissons de façon totalement inconsciente au quotidien (si l'anglais n'est pas "votre ami", vous pouvez aussi consulter ce document en français, à partir de la page 39)

La catégorisation a donc bien une fonction : elle nous permet de comprendre et simplifier une réalité complexe et d’y réagir adéquatement dans la plupart des situations de la vie quotidienne. [fin de la digression]

Avant de continuer, définissons grossièrement ce qu’est une typologie :

·         C’est un ensemble de catégories, de types de personnes qui se différencient par des caractéristiques de personnalité, préférences, etc.
·         C’est une vision caricaturale des choses : une personne sera catégorisée dans un type. Cela ne veut pas dire qu’elle possède tous les traits de la catégorie mais qu’elle en possède les grands traits.
·         Elle représente une heuristique, un découpage, qui permet d’appréhender la réalité complexe, de comprendre les différences entre les gens et d’agir en fonction
·         Ce n’est donc pas le reflet exact de la réalité mais bien une modélisation du fonctionnement des êtres humains

Comme tout ce qui a une fonction et représente un besoin pour l’être humain, un business a donc pu se construire là-dessus. En effet, en développant des  « typologies » qui permettent de simplifier la complexité du comportement humain, les solutions présentes sur le marché proposent une vision simple (voire simpliste) que tout un chacun peut exploiter dans sa pratique professionnelle et dans sa vie privée. Sur le principe, c’est certainement une bonne idée pour permettre à chaque personne de mieux se connaître, anticiper ses réactions et aussi mieux comprendre les autres.

Illustrons cela par un exemple concret tiré de la typologie du « HBDI®»,  il existe 4 types de « préférences cérébrales » identifiées par les couleurs bleu, jaune, rouge, vert (pour plus d’infos, suivez ce lien). Si vous êtes un « rouge », vous êtes décrit comme une personne qui ancre ses comportements dans les émotions, dans l’affectif, qui apprécie les relations etc. Si votre collègue est un « bleu » (rationnel, préférant les chiffres, peu sensible aux affects, etc.) et que vous l’identifiez comme tel, vous pouvez ainsi vous adapter pour communiquer/travailler avec lui d’une part, mais aussi vous rendre compte que votre propre tendance est différentes d’autre part.  On peut commencer à débattre sur l’aspect manipulatoire ou pas de la démarche mais finalement, c’est surtout une prise de conscience sur les différences inter-personnelles…


Parce qu’un RH averti en vaut deux
1.       Science sans science est pire que ruine de l’âme
Comme toute modélisation, les typologies présentes sur le marché reposent sur des bases qui se veulent scientifiques. Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas, on entre souvent dans le champ de la pseudo-science comme argument de vente (avec le label « prouvé scientifiquement », « fruit de nombreuses recherches », etc.).


Par exemple, gardez toujours à l’esprit que le découpage du cerveau en « gauche » et « droit » ne repose sur aucune base scientifique et neurobiologique (ou si ça a été le cas un jour, ces modèles sont obsolètes depuis de nombreuses années). C’est purement et simplement une métaphore  du fonctionnement cérébral (mais pas LE fonctionnement cérébral) qui trouve notamment son inspiration dans la différence entre « yin » et « yan ».  Je n’entrerai pas dans ce débat ici, ni n’attribuerai de labels aux différents modèles présents sur le marché. Mais donc, mieux vaut quand même le savoir avant de mettre vos collègues en boîte…


2.       L’insoutenable poids des stéréotypes
Mettre quelqu’un dans une boîte, dans une catégorie, active forcément et (encore une fois) inconsciemment des stéréotypes (une série d’attentes vis-à-vis de son comportement, de ses intentions, de ce qu’elle représente) et des préjugés (une évaluation positive ou négative par rapport à la personne basée sur la catégorie qu’elle représente et les normes sociales) par rapport à une personne.

Et là, moi je crie « attention danger ». Si vous avez suivi une formation basée sur l’une ou l’autre typologie, pensez à la définition donnée ci-dessus : une typologie n’est pas le reflet exact de la réalité mais une simplification (parfois à l’extrême) de celle-ci. Donc, ne réduisez pas la personne au type dans lequel l’outil l’a placée ! Pour nous, humains, il est très difficile de changer l’impression première qu’on se forme sur une autre personne.

Alors, si d’emblée vous la mettez dans une boîte, ça risque encore de compliquer les choses. Cela est d’autant plus vrai avec des typologies qui utilisent un étiquetage chargé de sens. Par exemple, si un nouveau collaborateur vous dit qu’il a suivi un séminaire à ce type d’outils et qu’il est identifié comme « rebelle » (étiquette qui fait partie de la typologie Process Com®), cela va induire de nombreuses caractéristiques que vous pouvez associer spontanément à cet adjectif. Bref, méfiance…


3.       Les gens ont généralement tort à propos d’eux-mêmes
Si vous souhaitez connaître la typologie d’une équipe ou que vous remplissez vous-même les questions pour établir votre « type », vous constaterez rapidement que les questions sont assez transparentes et qu’il est dès lors possible de les orienter dans l’une ou l’autre direction. Même, si dans ce genre de démarche, les gens sont généralement motivés à être honnêtes pour mieux se connaître, rappelez-vous qu’ils risquent aussi d’amplifier certains de leurs traits ou au contraire en masquer d’autres qui les dérangent.

En fait, les gens sont peu précis lorsqu’ils doivent se décrire eux-mêmes. Ils peuvent renvoyer une image qui ne colle pas forcément à la façon dont ils sont perçus par les autres, comme l’illustre en partie cet article. C’est un problème connu dans la recherche en psychologie depuis de longues années : les mesures auto-complétées sont soumises à des biais comme la désirabilité sociale (fournir des réponses qui correspondent aux attentes), la réactance (fournir des réponses qui sabotent le résultat), etc.


4.       La personnalité n'est pas écrite dans le marbre
Un risque réel pour le « profane » qui utilise une typologie est de considérer qu’une personne, une fois associée à un type précis, ne peut plus changer, que sa personnalité est figée à jamais, qu’elle ne peut évoluer par rapport à des caractéristiques si profondément ancrées (« chasse le naturel, il revient au galop »). J’ai même entendu des professionnels exprimer ce raccourci de raisonnement pendant une session plénière sur l’un de ces outils. Ce risque n’est donc pas la panacée du profane et il est même important quand on met ces outils dans les mains de personnes qui n’ont que leur précieuse « certification », sans autre connaissance en psychologie ou sciences humaines.

Certes  la personnalité présente un noyau stable qui est le produit à la fois de l’inné et de l’acquis (et dont certaines caractéristiques innées n’émergent que dans l’environnement qui le favorise) et c’est heureux car il serait inconcevable de survivre dans un monde où la personnalité change chaque matin. Toutefois, l’âge aidant, les expériences de vie positives et négatives (pas besoin qu’elles soient traumatiques), les succès, les échecs,  les rencontres, … modifient sensiblement notre façon d’appréhender la réalité et d’y réagir. Les gens peuvent donc changer et « sortir de leur boîte ».


Que faire alors face à tous ces outils qu’on nous propose ?
La plupart de ces outils de catégorisation ont une utilité commune :

ils permettent aux personnes de comprendre que nous avons des modes de fonctionnements et des modes de communication différents.


Pour certains employés, cet atout se suffit à lui-même pour leur permettre d’évoluer dans leur job.
Ce constat a aussi des implications à plusieurs égards en gestion des talents et en communication :
·         Les collaborateurs peuvent prendre conscience des autres dans une équipe et favoriser les conditions qui leur permettent d’exprimer leur  talent
·         Il permet de diversifier la composition des équipes, en favorisant la diversité des profils au sein de l’équipe
·         Il permet aux responsables d’équipe de communiquer de façon adaptée avec  leurs collaborateurs, en prenant en compte leur préférence à cet égard
·         Avoir une idée des préférences de chacun des autres permet de prévenir et gérer les conflits
·         Les responsables d’équipe/de projet peuvent déléguer adéquatement les tâches en fonction des préférences des membres du team
·         il évoque l’idée qu’il faut concevoir les communications de façon à toucher tous les publics
·        


Il ne faut donc pas jeter non plus le bébé dans sa boîte avec l’eau du bain… mais utiliser ces outils avec parcimonie, en connaissance des risques, et dans un cadre défini.

Mais on peut légitimement se poser une question (dont je vous laisse concevoir votre propre réponse) : doit-on passer par ce genre d'outils pseudo-scientifiques et coûteux pour faire prendre conscience aux personnes que nous avons des préférences cognitives et comportementales différentes ?
Un dernier point. Contrairement à ce que certains semblent vendre : gardez-vous bien d’utiliser ces outils dans le recrutement et la sélection. Les dangers expliqués ci-dessus en illustrent les raisons de façon assez évidente : ils sont beaucoup trop caricaturaux pour représenter un indicateur crédible dans le cadre d’un assessment. Ils peuvent éventuellement être utilisés au préalable, lors de l’analyse de besoin, pour identifier de façon grossière quel « profil » serait complémentaire dans une équipe déjà en place mais pas au-delà de cette phase préparatoire au recrutement.

Bref, ne vous laissez pas mettre en boîte n’importe comment, vous n’êtes pas un numéro, vous êtes complexe, libre et possédez vos richesses propres.

mardi 31 juillet 2012

HR must die…

Comment cela, les Ressources Humaines doivent mourir ?

Je serai catégorique : OUI, elles doivent mourir ou, plutôt, l’expression RH doit mourir pas les gens qui les font !
Pourquoi ?
Parce que cela traduit une vision étriquée et déshumanisée des personnes qui composent l’entreprise, tels des pions qu’on bouge au gré des besoins. Les travailleurs ont tous (sans exception) un talent potentiel à développer/stimuler (parfois bien inhibé certes mais c’est à nous, RH et managers, de le stimuler), une expérience, une histoire de vie, des connaissances, qui représentent la richesse réelle d’une organisation. Cela est d’autant plus vrai à une époque où la connaissance est finalement le meilleur capital sur lequel l’entreprise peut encore miser pour apprendre, s’adapter, survivre et croître.
Parce que, franchement, si l’on considère que l’eau est une ressource, que la forêt est une ressource, que le sol est une ressource, que les animaux et les plantes comestibles sont des ressources, etc. et que l’on voit ce que les Hommes en font, vous avez envie d’être considéré comme une ressource vous ?
Parce que ce n’est pas une simple question de sémantique… Le vocabulaire que nous partageons, les mots avec lesquels nous étiquetons les choses, induit des attitudes, des comportements, des actions, des normes, des conceptions spécifiques et donc aussi des préjugés positifs ou négatifs (nous y sommes tous soumis, humains que nous sommes).
Parce que l’expression « RH » ne recouvre pas le positionnement réel de la profession au sein des organisations en 2012 et est totalement « has been ».  Les RH assurent les 3 piliers que sont l’administration/payroll, le recrutement et la formation/développement des compétences. Mais aujourd’hui, les RH ont largement étendu leurs prérogatives pour intervenir au niveau stratégique, pour contribuer à dessiner l’organisation, effectuer des analyses prévisionnelles, développer des modèles, indicateurs, contribuer à la communication interne, développer la collaboration et le partage de bonnes pratiques, se positionner comme partenaire « business », etc. etc. Tout cela dépasse largement le cadre des 3 piliers initiaux, non ? A cet égard, l’expression « RH » réduit donc finalement le métier tel qu’il existe aujourd’hui à « peu de choses » (qui représentent évidemment les bases essentielles sans lesquelles rien ne peut être développé, j’en conviens, d’où les guillemets)
Alors, Oui, oui et oui, il faut tuer les RH… Personnellement, j’aimais encore mieux la dénomination « service du personnel » qui reprenait davantage l’idée que les RH travaillent – comme l’appellation l’indique – au service du personnel et non pour l’utiliser et l’exploiter au gré des contingences.

Alors quelle nouvelle appellation pour les RH ? Au gré de mes rencontres et lectures, j’ai identifié plusieurs pistes qui induisent aussi différentes approches. En voici quelques exemples illustratifs :
·         Dans la perspective pragmatique (adoptée par plusieurs organisations belges, notamment les services publics fédéraux) : Personnel et Organisation (qui recouvre presque tous les aspects de la fonction RH actuelle)

·         Dans une vue à connotation économique : Capital Humain (je ne sais pas si je préfère être perçu comme un élément financier ou comme une ressource)

·         Dans une perspective historique – voire artistique – et plus positive : Patrimoine Humain (les collaborateurs représentent un bien précieux à conserver et développer)

·         Dans une perspective ontologique « life long » : Héritage Humain (les employés ont une expérience, une histoire de vie, un talent naturel, appris ou à développer/encourager et ils peuvent encore développer d’autres expériences, talents, histoires au sein de notre organisation en y laissant une part de leur héritage personnel)

·         … et vous, vous avez d’autres idées, d’autres idées de perspective ? alors partagez-les ici et complétez-moi !

jeudi 21 juin 2012

Les Réseaux So'quoi ??

Les Réseaux Sociaux !

Depuis plusieurs mois, les réseaux sociaux sont omniprésents dans la presse belge : tweet incendiaire d’une personnalité politique, message inconvenant d’un people sur facebook, publication d’une vidéo amateur qui « fait le buzz » le temps d’une journée…
La « révolution du jasmin » a été largement relayée par les réseaux sociaux. Les spécialistes de la communication et des sciences politiques leur attribuent une part significative dans le succès de ces soulèvements populaires. Plus récemment, la presse française a considéré l’échec de la candidate Royal aux élections législatives françaises comme le résultat d’un unique tweet influent de la première dame (pour rappel ou si vous étiez dans un pays lointain, cette dernière a ainsi explicitement marqué sa préférence pour un candidat dissident).
Doit-on en conclure que les réseaux sociaux sont tout-puissants et qu’il faut en trembler ? certainement pas. Mais ces deux petits exemples issus de l’histoire illustrent l’impact et la vitesse de la communication des réseaux sociaux : toute personne (j’ai bien dit « toute personne » donc n’importe qui, pas besoin d’être une première dame ou un people) peut diffuser une information à l’échelle planétaire en quelques heures (si évidemment cette information vaut la peine d’être relayée, je ne parle pas ici d’un « statut » quelconque indiquant que vous n’avez pas bien digéré votre choucroute-jambonneau de la veille)…
Par ailleurs, diverses analyses montrent que ce n’est pas un effet de mode. Les réseaux sociaux et, plus généralement, les outils du web 2.0 représentent LE canal de communication de plus en plus privilégié. Cela est probablement favorisé par l’explosion des ventes de smartphones, tablettes, etc., ainsi que par l'intégration de nouveaux services dans les réseaux sociaux existants. Un rapport de la société ComScore (1) examinant l’utilisation des réseaux sociaux entre 2007 et 2011 nous apprend même que ce n’est pas une affaire de génération (battant en brèche la vision caricaturale des générations X, Y, etc.) : 86% des « online +55 » (les personnes de plus de 55 ans ayant accès à internet) utilisent les réseaux sociaux (à une fréquence moindre que leurs cadets, certes). Ce même rapport montre aussi le déclin de l’e-mail au profit de la communication via réseaux sociaux.
Les deux facettes des réseaux sociaux (diffusion immédiate ET massive) représentent des enjeux évidents pour les organisations. Ces dernières doivent profiter au maximum de la puissance des réseaux, ne serait-ce à la base que par vigilance et pour réagir aux messages potentiellement nuisibles à l’image (ce qu’on appelle l’e-réputation). Pour citer Jeffrey Preston Bezos (PDG de Amazon.com) : « Dans le monde physique, si vous rendez vos clients mécontents, ils sont susceptibles d'en parler chacun à six amis. Sur Internet, vos clients mécontents peuvent en parler chacun à 6 000 amis » (2).
Malgré cela… Au gré des rencontres, j’entends parfois autour de moi des personnes qui se posent des questions :
Faut-il vraiment développer une présence sur les réseaux sociaux ? Euuuh, ce n’est pas parce que vous n’y êtes pas que rien n’est publié sur votre organisation… et si ce qui circule est négatif, ‘faudra pas se plaindre si cela tourne mal, Jeff Bezos vous a prévenu !
Doit-on vraiment laisser les employés accéder à facebook et twitter pendant les heures de travail ? Gloups ! Premièrement, vos employés ont pour la plupart des smartphones donc ils peuvent le faire à votre insu. Ensuite, s’ils veulent « tirer au flanc », ils trouveront toujours une solution : ils joueront au Solitaire (ça existe encore ?), ils liront le journal, ils traîneront davantage à la machine à café. Doit-on pour autant interdire le journal ou retirer les machines à café parce qu’un petit pourcentage triche avec le système ?
Certains arrivent avec des arguments du type « je n’aime pas facebook… et puis ça va disparaître » (évidemment que Facebook disparaîtra probablement à terme mais… pour laisser la place à un nouveau réseau social, plus efficace et plus intégratif en termes d’outils encore ! enfin, je l’espère), « j’y comprends rien », « Twitter ça sert à rien », etc. etc. Mais oui, mais oui, tout va très bien Madame la Marquise…
Développer une approche intégrative dans l’entreprise
Bon, vous l’avez compris, je suis convaincu qu’il faut permettre à chacun d’utiliser les réseaux sociaux dans toute l’organisation mais pas de façon sauvage. Je propose de développer une approche intégrative :
·     Le premier pas : laisser aux employés l’accès aux outils du web 2.0 (pas seulement les réseaux sociaux mais aussi les blogs, outils de curation tels scoop.it, pearltrees, pinterest, etc.) pour permettre aux collaborateurs de développer leurs connaissances, d’accéder à des informations qui les intéressent professionnellement (ou pas) mais aussi finalement, de contribuer à la veille sur ce qui se dit de l’organisation (en prenant la précaution de leur rappeler qu’ils n’en sont pas les porte-parole…). Cela implique de les accompagner, de leur montrer le potentiel de ces outils et de leur donner des guidelines (j’ai dit « guidelines », pas « code de conduite » !), à l’instar de la SummerSchool 2.0 réalisée au SPF (Service Public Fédéral) Sécurité Sociale en Belgique en 2011 . 
·     Implanter un réseau social d’entreprise (RSE) permettant de mettre en relation tous les collaborateurs d’une organisation (et spécialement lorsque l’organisation est importante et éclatée géographiquement). Cela permet de partager les bonnes pratiques, communiquer une information de façon cohérente et uniforme à travers toute l’organisation, de dresser des liens avec des bases documentaires, de développer les collaborations, la co-création, l’innovation, etc.
·     Avoir une présence continue, active et cohérente sur les réseaux sociaux, avec une stratégie de communication, de veille, de collecte d’informations, de consultation du public-cible… ce qu’on appelle le « community management »
Pour développer cette approche, il est impératif de dédier une fonction à cette mission. On la retrouve généralement sous l’appellation « responsable réseaux sociaux », « gestionnaire de communautés web », « social business manager », « community manager », etc. La pierre angulaire de ces appellations est qu’elles renvoient toutes à la gestion des relations sur le web, au même titre qu’un « attaché de presse » traite les relations avec la presse, en étant dédié uniquement à ce medium.
Quant à la place du « community manager » (appelons-le ainsi par facilité et parce que c’est l’appellation la plus répandue) dans l’entreprise, le mieux est sans doute de le positionner à un niveau transversal dans l’organigramme. Il doit dresser des ponts et collaborer étroitement avec le département commercial (front office), avec les services back office, avec la communication, avec le marketing, avec le knowledge management, avec les ressources humaines, avec l’ICT. Chaque entité précitée est un acteur qui va contribuer à développer une stratégie efficace pour tirer le meilleur des réseaux sociaux mais aussi se nourrir en retour d’informations cruciales :
·     Les services commerciaux et les back offices contribuent largement à apporter des réponses personnalisées aux clients qui s’expriment sur les réseaux sociaux.
·     La communication peut contribuer à renforcer l’efficacité d’une information et ainsi inclure les réseaux sociaux dans sa propre stratégie
·     Le marketing aide au développement de KPI (indicateurs de performance)  mais peut aussi profiter des réseaux pour développer un nouveau mode de veille concurrentielle, interroger le public, voire développer des activités de « crowdsourcing » à travers lesquelles le public contribue à l’élaboration des nouveaux produits (3)
·     Le knowledge management peut intégrer les réseaux sociaux pour tirer le meilleur de ceux-ci dans une approche collaborative et de circulation de la connaissance
·     Les ressources humaines peuvent déployer une stratégie de recrutement en exploitant au mieux la puissance des réseaux sociaux
En dressant ces ponts avec tous les départements de l’organisation, le community manager pourra ainsi assurer ses missions sur les réseaux sociaux : renforcer la présence et la crédibilité de l’organisation (en informant autrement, personnalisant la communication, répondant rapidement, etc.), assurer la veille informationnelle (veille concurrentielle et veille sur les informations publiées à propos de l’organisation) et la veille technique (nouveautés, évolutions et améliorations possibles)
Et vous, vous en pensez quoi ? Quelle approche avez-vous développée par rapport aux réseaux sociaux ? N’hésitez pas à commenter !
 Notes :
(1) Disponible en suivant ce lien : http://www.comscore.com/Press_Events/Presentations_Whitepapers/2011/it_is_a_social_world_top_10_need-to-knows_about_social_networking

(2) “If you make customers unhappy in the physical world, they might each tell 6 friends. If you make customers unhappy on the Internet, they can each tell 6,000 friends »

(3) Par exemple, en Belgique, à travers un concours, une célèbre marque de chips a demandé au public de proposer de nouveaux goûts. Après sélection de plusieurs de ces goûts, ils ont été produits et vendus temporairement pour permettre au public d’élire leur goût favoris. Finalement, un seul de ces nouveaux goûts est aujourd’hui produit en continu et son « inventeur » est reparti avec un cadeau intéressant. Triple avantage : le coût (un cadeau), le temps (quelques semaines), l’innovation (même avec un bon brainstorming, personne au sein de l’entreprise n’aurait probablement eu cette idée de goût)

jeudi 7 juin 2012

Le leader est-il un jardinier, un fermier, un montreur de singes ?

J’ai eu récemment la chance d’écouter Isaac Getz, co-auteur du livre « Liberté & Cie » (1). Il nous propose une vision innovante du leadership, basée sur un partage d’expériences et des applications concrètes au sein d’entreprises diverses à travers le monde.
Quelques éléments ont ainsi marqué mon esprit et m’ont donné envie de les partager ici.
Se référant à une étude menée de façon récurrente par Gallup dans les pays industrialisés (et dont j’ai totalement oublié de noter les références), Isaac met en évidence différents types d’employés que l’on retrouve dans toute entreprise. Il a choisi de représenter ces types par des animaux emblématiques :
1.       Les coqs. Ils représentent 29% des employés . Ce sont les moteurs de l’organisation, les employés engagés, impliqués dans leur travail et envers leur organisation.
2.       Les chiens. La majorité des employés entre dans cette catégorie (52%). Ce sont des employés relativement désengagés envers leur organisation. Ils travaillent pour gagner leur croûte, effectuent les tâches qui leur sont dédiées mais ils suivent et ne sont pas des éléments moteurs pour l’entreprise.
3.       Les renards. Ces employés sont activement désengagés. Pour certains d’entre eux, on entre dans le sabotage, pour d’autres cela consiste « simplement » à résister à toute proposition du management de façon latente ou explicite. Ils représentent 19% des employés.
Cet étiquetage animalier n’est pas le fruit du hasard. Il permet de tirer les conclusions qui s’imposent en termes de management et de fonctionnement dans une entreprise. Il suffit de citer le cas où un coq se retrouve en présence de renards… il y a une grande probabilité qu’il se fasse mettre en pièce (et donc en traduisant cela en termes managériaux, son implication et son engagement seront ébranlés par la résistance systématique de ses collègues).

Le leader contrôleur
« Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d’autres » (La Ferme des Animaux, Georges Orwell, 1947)
Face à ce problème, il existe deux pistes. La première consiste à chasser les renards et dresser les chiens. En termes managériaux, cela veut dire : renforcer les processus de contrôle, découper et évaluer les tâches, développer de nombreux indicateurs de performance, etc. etc. 
Donc voilà, un problème résolu d’une main de maître, plié, emballé, tout est sous contrôle, les 19% de renards étant muselés ou éradiqués ! Et bien, vous savez quoi ? Vous vous mettez le doigt dans l’oeil car Isaac Getz nous apprend que, si vous refaites l’exercice d’identifier les coqs, chiens et renards au sein de votre entreprise, vous retrouvez 19% de renards, 52% de chiens et 29% de coqs… donc on est loin du CQFD et plutôt dans la notion de vases communicants. En effet, tous les processus de contrôle mis en place sur le travail des gens créent de la frustration, démotivent les plus engagés et amènent les déjà désimpliqués à entrer en résistance. Vous avez donc dépensé une somme importante et du temps dans le développement d’un magnifique dispositif de contrôle, le personnel vous respecte (enfin, vous le pensez parce qu’en fait il vous craint et ne vous pas confiance)… pour récolter le fruit d’une moisson finalement bien pauvre.

Le leader jardinier
Se basant sur une métaphore, Isaac propose une autre voie, bien plus efficiente. Il suggère au leader de se comporter comme un jardinier. Le jardinier n’agit pas sur la plante directement mais il va installer les conditions idéales qui permettront à la plante de développer tout son potentiel, en choisissant les bons engrais, la bonne terre, l’endroit où les conditions d’ensoleillement sont optimales. Pour le reste, il fait confiance à la nature…
Dans le même esprit, les leaders doivent créer les conditions optimales qui permettent aux employés d’exprimer le meilleur d’eux-mêmes. Cela passe par la culture d’entreprise (« culture » étant finalement un terme bien ancré au milieu horticole…). Sans culture, pas d’engagement et donc aucune chance de développer nos coqs, et encore moins de fédérer les chiens et les renards autour des objectifs de l’organisation.
Trois éléments – trois recommandations -  cités par Isaac Getz pour créer une culture favorable à l’engagement des collaborateurs ont retenu mon attention:

1.       Egalité intrinsèque : bâtissez un environnement où tous les employés sont traités réellement en égaux. Faites confiance, lâchez prise, vos employés sont compétents. Vous n’êtes pas l’expert dans tous les domaines mais chaque employé est expert dans son propre domaine. Ne vous suppléez pas à lui. Reconnaissez son expertise et donnez-lui la vision et les objectifs qui lui permettront d’exploiter sa connaissance pour contribuer à leur réalisation. Cela vous évitera par ailleurs d’assumer certaines responsabilités à la place de vos collaborateurs, de « prendre leur singe sur votre épaule » (2). Le singe est, au gré des circonstances : un problème, un projet, une décision, une action… que le collaborateur serait tenté de vous « refiler » alors qu’il a toute les cartes en main pour s’en charger seul. Cela n’est évidemment possible qu’à la condition de lui donner la reconnaissance d’expertise nécessaire et la capacité de décision.
2.       Développement personnel et auto-direction : donnez des perspectives de développement à vos collaborateurs. Donnez-leur la capacité de s’auto-diriger et de reconnaître qu’ils sont les plus à mêmes d’identifier ce qui est le mieux pour eux et pour vos clients. Ils sont sur le terrain, vous pas. N’oubliez jamais que vos employés sont des adultes responsables et capables.
3.       Donnez du sens à vos actions. Dans la construction de l’environnement libérateur, il est important de donner du sens à ce que vous mettez en place, d’ancrer vos actions à votre vision du leadership. Pour prendre un simple exemple, la société entre aujourd’hui dans l’ère du Nouveau Travail (New World of Work, NWOW, etc.) avec plus ou moins d’implication, de soutien et d’efficacité selon les entreprises. Dans ce cadre, on développe les « open spaces » (bureaux paysagers), le télétravail, le « flexdesk » (bureaux dans lesquels les places ne sont plus assignées à une et une seule personne), le zéro papier, etc. Même les projets les mieux ficelés peuvent se solder par un échec, tout simplement parce que le sens n’a pas été donné et que les collaborateurs n’ont pas été impliqués au bon moment, voire pas du tout. Comme a très justement dit Isaac Getz : ce n’est pas ce qu’on fait de l’espace de travail qui importe mais bien le sens qu’on donne à ce changement.

En conclusion, l’entreprise est un vaste zoo agrémenté d’un magnifique jardin, faites confiance à la nature… et arrêtez de vouloir tout contrôler, ça attire les renards.
Références des notes :

(1) Getz, I., & Carney, B.M. (2012). Liberté et Cie : Quand la liberté des salariés fait le Bonheur des entreprises. Editions Fayard.
(2) en référence à la tactique du singe de feu William Oncker : http://leadershipdevelopment.iiwiki.edu.au/file/view/Management+Time-Who's+Got+the+Monkey.pdf) .