jeudi 21 juin 2012

Les Réseaux So'quoi ??

Les Réseaux Sociaux !

Depuis plusieurs mois, les réseaux sociaux sont omniprésents dans la presse belge : tweet incendiaire d’une personnalité politique, message inconvenant d’un people sur facebook, publication d’une vidéo amateur qui « fait le buzz » le temps d’une journée…
La « révolution du jasmin » a été largement relayée par les réseaux sociaux. Les spécialistes de la communication et des sciences politiques leur attribuent une part significative dans le succès de ces soulèvements populaires. Plus récemment, la presse française a considéré l’échec de la candidate Royal aux élections législatives françaises comme le résultat d’un unique tweet influent de la première dame (pour rappel ou si vous étiez dans un pays lointain, cette dernière a ainsi explicitement marqué sa préférence pour un candidat dissident).
Doit-on en conclure que les réseaux sociaux sont tout-puissants et qu’il faut en trembler ? certainement pas. Mais ces deux petits exemples issus de l’histoire illustrent l’impact et la vitesse de la communication des réseaux sociaux : toute personne (j’ai bien dit « toute personne » donc n’importe qui, pas besoin d’être une première dame ou un people) peut diffuser une information à l’échelle planétaire en quelques heures (si évidemment cette information vaut la peine d’être relayée, je ne parle pas ici d’un « statut » quelconque indiquant que vous n’avez pas bien digéré votre choucroute-jambonneau de la veille)…
Par ailleurs, diverses analyses montrent que ce n’est pas un effet de mode. Les réseaux sociaux et, plus généralement, les outils du web 2.0 représentent LE canal de communication de plus en plus privilégié. Cela est probablement favorisé par l’explosion des ventes de smartphones, tablettes, etc., ainsi que par l'intégration de nouveaux services dans les réseaux sociaux existants. Un rapport de la société ComScore (1) examinant l’utilisation des réseaux sociaux entre 2007 et 2011 nous apprend même que ce n’est pas une affaire de génération (battant en brèche la vision caricaturale des générations X, Y, etc.) : 86% des « online +55 » (les personnes de plus de 55 ans ayant accès à internet) utilisent les réseaux sociaux (à une fréquence moindre que leurs cadets, certes). Ce même rapport montre aussi le déclin de l’e-mail au profit de la communication via réseaux sociaux.
Les deux facettes des réseaux sociaux (diffusion immédiate ET massive) représentent des enjeux évidents pour les organisations. Ces dernières doivent profiter au maximum de la puissance des réseaux, ne serait-ce à la base que par vigilance et pour réagir aux messages potentiellement nuisibles à l’image (ce qu’on appelle l’e-réputation). Pour citer Jeffrey Preston Bezos (PDG de Amazon.com) : « Dans le monde physique, si vous rendez vos clients mécontents, ils sont susceptibles d'en parler chacun à six amis. Sur Internet, vos clients mécontents peuvent en parler chacun à 6 000 amis » (2).
Malgré cela… Au gré des rencontres, j’entends parfois autour de moi des personnes qui se posent des questions :
Faut-il vraiment développer une présence sur les réseaux sociaux ? Euuuh, ce n’est pas parce que vous n’y êtes pas que rien n’est publié sur votre organisation… et si ce qui circule est négatif, ‘faudra pas se plaindre si cela tourne mal, Jeff Bezos vous a prévenu !
Doit-on vraiment laisser les employés accéder à facebook et twitter pendant les heures de travail ? Gloups ! Premièrement, vos employés ont pour la plupart des smartphones donc ils peuvent le faire à votre insu. Ensuite, s’ils veulent « tirer au flanc », ils trouveront toujours une solution : ils joueront au Solitaire (ça existe encore ?), ils liront le journal, ils traîneront davantage à la machine à café. Doit-on pour autant interdire le journal ou retirer les machines à café parce qu’un petit pourcentage triche avec le système ?
Certains arrivent avec des arguments du type « je n’aime pas facebook… et puis ça va disparaître » (évidemment que Facebook disparaîtra probablement à terme mais… pour laisser la place à un nouveau réseau social, plus efficace et plus intégratif en termes d’outils encore ! enfin, je l’espère), « j’y comprends rien », « Twitter ça sert à rien », etc. etc. Mais oui, mais oui, tout va très bien Madame la Marquise…
Développer une approche intégrative dans l’entreprise
Bon, vous l’avez compris, je suis convaincu qu’il faut permettre à chacun d’utiliser les réseaux sociaux dans toute l’organisation mais pas de façon sauvage. Je propose de développer une approche intégrative :
·     Le premier pas : laisser aux employés l’accès aux outils du web 2.0 (pas seulement les réseaux sociaux mais aussi les blogs, outils de curation tels scoop.it, pearltrees, pinterest, etc.) pour permettre aux collaborateurs de développer leurs connaissances, d’accéder à des informations qui les intéressent professionnellement (ou pas) mais aussi finalement, de contribuer à la veille sur ce qui se dit de l’organisation (en prenant la précaution de leur rappeler qu’ils n’en sont pas les porte-parole…). Cela implique de les accompagner, de leur montrer le potentiel de ces outils et de leur donner des guidelines (j’ai dit « guidelines », pas « code de conduite » !), à l’instar de la SummerSchool 2.0 réalisée au SPF (Service Public Fédéral) Sécurité Sociale en Belgique en 2011 . 
·     Implanter un réseau social d’entreprise (RSE) permettant de mettre en relation tous les collaborateurs d’une organisation (et spécialement lorsque l’organisation est importante et éclatée géographiquement). Cela permet de partager les bonnes pratiques, communiquer une information de façon cohérente et uniforme à travers toute l’organisation, de dresser des liens avec des bases documentaires, de développer les collaborations, la co-création, l’innovation, etc.
·     Avoir une présence continue, active et cohérente sur les réseaux sociaux, avec une stratégie de communication, de veille, de collecte d’informations, de consultation du public-cible… ce qu’on appelle le « community management »
Pour développer cette approche, il est impératif de dédier une fonction à cette mission. On la retrouve généralement sous l’appellation « responsable réseaux sociaux », « gestionnaire de communautés web », « social business manager », « community manager », etc. La pierre angulaire de ces appellations est qu’elles renvoient toutes à la gestion des relations sur le web, au même titre qu’un « attaché de presse » traite les relations avec la presse, en étant dédié uniquement à ce medium.
Quant à la place du « community manager » (appelons-le ainsi par facilité et parce que c’est l’appellation la plus répandue) dans l’entreprise, le mieux est sans doute de le positionner à un niveau transversal dans l’organigramme. Il doit dresser des ponts et collaborer étroitement avec le département commercial (front office), avec les services back office, avec la communication, avec le marketing, avec le knowledge management, avec les ressources humaines, avec l’ICT. Chaque entité précitée est un acteur qui va contribuer à développer une stratégie efficace pour tirer le meilleur des réseaux sociaux mais aussi se nourrir en retour d’informations cruciales :
·     Les services commerciaux et les back offices contribuent largement à apporter des réponses personnalisées aux clients qui s’expriment sur les réseaux sociaux.
·     La communication peut contribuer à renforcer l’efficacité d’une information et ainsi inclure les réseaux sociaux dans sa propre stratégie
·     Le marketing aide au développement de KPI (indicateurs de performance)  mais peut aussi profiter des réseaux pour développer un nouveau mode de veille concurrentielle, interroger le public, voire développer des activités de « crowdsourcing » à travers lesquelles le public contribue à l’élaboration des nouveaux produits (3)
·     Le knowledge management peut intégrer les réseaux sociaux pour tirer le meilleur de ceux-ci dans une approche collaborative et de circulation de la connaissance
·     Les ressources humaines peuvent déployer une stratégie de recrutement en exploitant au mieux la puissance des réseaux sociaux
En dressant ces ponts avec tous les départements de l’organisation, le community manager pourra ainsi assurer ses missions sur les réseaux sociaux : renforcer la présence et la crédibilité de l’organisation (en informant autrement, personnalisant la communication, répondant rapidement, etc.), assurer la veille informationnelle (veille concurrentielle et veille sur les informations publiées à propos de l’organisation) et la veille technique (nouveautés, évolutions et améliorations possibles)
Et vous, vous en pensez quoi ? Quelle approche avez-vous développée par rapport aux réseaux sociaux ? N’hésitez pas à commenter !
 Notes :
(1) Disponible en suivant ce lien : http://www.comscore.com/Press_Events/Presentations_Whitepapers/2011/it_is_a_social_world_top_10_need-to-knows_about_social_networking

(2) “If you make customers unhappy in the physical world, they might each tell 6 friends. If you make customers unhappy on the Internet, they can each tell 6,000 friends »

(3) Par exemple, en Belgique, à travers un concours, une célèbre marque de chips a demandé au public de proposer de nouveaux goûts. Après sélection de plusieurs de ces goûts, ils ont été produits et vendus temporairement pour permettre au public d’élire leur goût favoris. Finalement, un seul de ces nouveaux goûts est aujourd’hui produit en continu et son « inventeur » est reparti avec un cadeau intéressant. Triple avantage : le coût (un cadeau), le temps (quelques semaines), l’innovation (même avec un bon brainstorming, personne au sein de l’entreprise n’aurait probablement eu cette idée de goût)

jeudi 7 juin 2012

Le leader est-il un jardinier, un fermier, un montreur de singes ?

J’ai eu récemment la chance d’écouter Isaac Getz, co-auteur du livre « Liberté & Cie » (1). Il nous propose une vision innovante du leadership, basée sur un partage d’expériences et des applications concrètes au sein d’entreprises diverses à travers le monde.
Quelques éléments ont ainsi marqué mon esprit et m’ont donné envie de les partager ici.
Se référant à une étude menée de façon récurrente par Gallup dans les pays industrialisés (et dont j’ai totalement oublié de noter les références), Isaac met en évidence différents types d’employés que l’on retrouve dans toute entreprise. Il a choisi de représenter ces types par des animaux emblématiques :
1.       Les coqs. Ils représentent 29% des employés . Ce sont les moteurs de l’organisation, les employés engagés, impliqués dans leur travail et envers leur organisation.
2.       Les chiens. La majorité des employés entre dans cette catégorie (52%). Ce sont des employés relativement désengagés envers leur organisation. Ils travaillent pour gagner leur croûte, effectuent les tâches qui leur sont dédiées mais ils suivent et ne sont pas des éléments moteurs pour l’entreprise.
3.       Les renards. Ces employés sont activement désengagés. Pour certains d’entre eux, on entre dans le sabotage, pour d’autres cela consiste « simplement » à résister à toute proposition du management de façon latente ou explicite. Ils représentent 19% des employés.
Cet étiquetage animalier n’est pas le fruit du hasard. Il permet de tirer les conclusions qui s’imposent en termes de management et de fonctionnement dans une entreprise. Il suffit de citer le cas où un coq se retrouve en présence de renards… il y a une grande probabilité qu’il se fasse mettre en pièce (et donc en traduisant cela en termes managériaux, son implication et son engagement seront ébranlés par la résistance systématique de ses collègues).

Le leader contrôleur
« Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d’autres » (La Ferme des Animaux, Georges Orwell, 1947)
Face à ce problème, il existe deux pistes. La première consiste à chasser les renards et dresser les chiens. En termes managériaux, cela veut dire : renforcer les processus de contrôle, découper et évaluer les tâches, développer de nombreux indicateurs de performance, etc. etc. 
Donc voilà, un problème résolu d’une main de maître, plié, emballé, tout est sous contrôle, les 19% de renards étant muselés ou éradiqués ! Et bien, vous savez quoi ? Vous vous mettez le doigt dans l’oeil car Isaac Getz nous apprend que, si vous refaites l’exercice d’identifier les coqs, chiens et renards au sein de votre entreprise, vous retrouvez 19% de renards, 52% de chiens et 29% de coqs… donc on est loin du CQFD et plutôt dans la notion de vases communicants. En effet, tous les processus de contrôle mis en place sur le travail des gens créent de la frustration, démotivent les plus engagés et amènent les déjà désimpliqués à entrer en résistance. Vous avez donc dépensé une somme importante et du temps dans le développement d’un magnifique dispositif de contrôle, le personnel vous respecte (enfin, vous le pensez parce qu’en fait il vous craint et ne vous pas confiance)… pour récolter le fruit d’une moisson finalement bien pauvre.

Le leader jardinier
Se basant sur une métaphore, Isaac propose une autre voie, bien plus efficiente. Il suggère au leader de se comporter comme un jardinier. Le jardinier n’agit pas sur la plante directement mais il va installer les conditions idéales qui permettront à la plante de développer tout son potentiel, en choisissant les bons engrais, la bonne terre, l’endroit où les conditions d’ensoleillement sont optimales. Pour le reste, il fait confiance à la nature…
Dans le même esprit, les leaders doivent créer les conditions optimales qui permettent aux employés d’exprimer le meilleur d’eux-mêmes. Cela passe par la culture d’entreprise (« culture » étant finalement un terme bien ancré au milieu horticole…). Sans culture, pas d’engagement et donc aucune chance de développer nos coqs, et encore moins de fédérer les chiens et les renards autour des objectifs de l’organisation.
Trois éléments – trois recommandations -  cités par Isaac Getz pour créer une culture favorable à l’engagement des collaborateurs ont retenu mon attention:

1.       Egalité intrinsèque : bâtissez un environnement où tous les employés sont traités réellement en égaux. Faites confiance, lâchez prise, vos employés sont compétents. Vous n’êtes pas l’expert dans tous les domaines mais chaque employé est expert dans son propre domaine. Ne vous suppléez pas à lui. Reconnaissez son expertise et donnez-lui la vision et les objectifs qui lui permettront d’exploiter sa connaissance pour contribuer à leur réalisation. Cela vous évitera par ailleurs d’assumer certaines responsabilités à la place de vos collaborateurs, de « prendre leur singe sur votre épaule » (2). Le singe est, au gré des circonstances : un problème, un projet, une décision, une action… que le collaborateur serait tenté de vous « refiler » alors qu’il a toute les cartes en main pour s’en charger seul. Cela n’est évidemment possible qu’à la condition de lui donner la reconnaissance d’expertise nécessaire et la capacité de décision.
2.       Développement personnel et auto-direction : donnez des perspectives de développement à vos collaborateurs. Donnez-leur la capacité de s’auto-diriger et de reconnaître qu’ils sont les plus à mêmes d’identifier ce qui est le mieux pour eux et pour vos clients. Ils sont sur le terrain, vous pas. N’oubliez jamais que vos employés sont des adultes responsables et capables.
3.       Donnez du sens à vos actions. Dans la construction de l’environnement libérateur, il est important de donner du sens à ce que vous mettez en place, d’ancrer vos actions à votre vision du leadership. Pour prendre un simple exemple, la société entre aujourd’hui dans l’ère du Nouveau Travail (New World of Work, NWOW, etc.) avec plus ou moins d’implication, de soutien et d’efficacité selon les entreprises. Dans ce cadre, on développe les « open spaces » (bureaux paysagers), le télétravail, le « flexdesk » (bureaux dans lesquels les places ne sont plus assignées à une et une seule personne), le zéro papier, etc. Même les projets les mieux ficelés peuvent se solder par un échec, tout simplement parce que le sens n’a pas été donné et que les collaborateurs n’ont pas été impliqués au bon moment, voire pas du tout. Comme a très justement dit Isaac Getz : ce n’est pas ce qu’on fait de l’espace de travail qui importe mais bien le sens qu’on donne à ce changement.

En conclusion, l’entreprise est un vaste zoo agrémenté d’un magnifique jardin, faites confiance à la nature… et arrêtez de vouloir tout contrôler, ça attire les renards.
Références des notes :

(1) Getz, I., & Carney, B.M. (2012). Liberté et Cie : Quand la liberté des salariés fait le Bonheur des entreprises. Editions Fayard.
(2) en référence à la tactique du singe de feu William Oncker : http://leadershipdevelopment.iiwiki.edu.au/file/view/Management+Time-Who's+Got+the+Monkey.pdf) .