vendredi 21 décembre 2012

Mon CyberMoi n'est pas à vendre ! Vraiment ?

"On a conscience avant, on prend conscience après" (Oscar Wilde)
En réflexion sur la rédaction de « do’s and dont’s » sur les réseaux sociaux à l’intention des employés, après avoir rédigé les habituelles règles de bon sens en matière de communication qu’il est parfois nécessaire de rappeler (sans prendre les collaborateurs pour des gosses et en axant ces « guidelines » autour de la confiance, bien évidemment), je me suis dit qu’il était sans doute aussi important de mettre en évidence certains risques plus « macros » auxquels nous ne pensons pas toujours spontanément en nous inscrivant sur les réseaux sociaux. 
Lorsque je me suis inscrit sur les réseaux, j’avais un rêve de collaboration, de partage, j’y ai vu les opportunités en termes de suppression des barrières géographiques en matière de communication inter-personnelle et communautaire, la conversation sur les bonnes pratiques, le fait de pouvoir développer et entretenir mon réseau professionnel sans devoir rencontrer forcément les gens « IRL » (« In Real Life », dans les colloques, réunions, workshops, salons pros, etc.) mais en ayant la volonté d’échanger librement, de partager avec eux des connaissances/pratiques et d’apprendre « autrement ».
Et la semaine dernière : (re)prise de conscience… Les réseaux sociaux, c’est avant tout un énorme business. Pas que je n’en étais pas conscient, non, car je garde toujours à l’esprit que si un service est gratuit pour un utilisateur, c’est que ce dernier est lui-même le produit mais les événements de ces derniers jours ont affûté ma conscience qui avait été endormie par l’enthousiasme de la collaboration. « Back to reality », les enjeux commerciaux étant ce qu’ils sont, les réseaux sociaux aujourd’hui s’écartent de plus en plus du rêve du partage et de la collaboration, bien loin du monde des « Bisounours ».
Donc, j’ai décidé qu’il était important de rappeler certains constats de base dans l’élaboration des recommandations à mes collègues. Ces rappels sont au nombre de trois… et comme une piqûre de rappel ne fait jamais de tort, j’ai choisi de les partager ici avec vous.


1.       Facebook n’a aucunement l’intention de protéger vos données. Ils ont récemment tenu un « pseudo-référendum » dont la communication a été noyée au milieu d’un tas d’autres éléments dans un message adressé aux utilisateurs. Devant le faible taux de participation (rejetant pourtant leurs propositions de modifications en masse), ils ont décidé de ne pas tenir compte des réponses des utilisateurs pour faire passer des règles qui les arrangent évidemment. La recommandation qui en découle est : gardons à l’esprit que nous devons y publier des contenus en pleine conscience qu’ils finiront par faire ce qu’ils veulent de ceux-ci, soit pour une utilisation pour du « data mining », de la prédiction de comportement de consommation, de la publicité individualisé, de la revente de base de données, etc. Mieux vaut ne pas être dupe. Personnellement, je ne pense pas que ce que j’y publie les intéresse et  je me fous plus ou moins de ce qu’ils peuvent en faire. Mais si tel n’est pas votre cas, évitez de publier toutes vos photos de vacances, de liker tous les produits que vous consommez, d’indiquer vos opinions politiques et religieuses, etc. Le truc important, c’est de réfléchir avant d’agir, d’anticiper les conséquences possibles d’un publication, de ne pas publier compulsivement des images ou propos qu’on pourrait regretter, parce qu’ils sont blessants, péremptoires ou nuisent à notre « e-réputation » ou simplement sans aucun intérêt. Si iotre « Timeline » est perçue par les autres comme un reflet de vous, elle est  aussi perçue par Facebook (et les réseaux sociaux en général) comme une mine d’informations monnayables.
2.       Il existe une concurrence acharnée entre les réseaux sociaux et ce n’est jamais l’utilisateur qui en sortira gagnant. Pour exemple, il suffit de mentionner la guerre que se livrent Twitter et Instagram ou encore la disparation ultra rapide de l’ancienne version de MySpace lorsque Facebook est monté au-devant de la scène. Si l’un ou l’autre réseau disparaît sous la pression concurrentielle, perdez l’illusion que vous pourrez récupérer vos données : tout ce que vous y avez publié sera effacé avec la fermeture du réseau. Veillez donc à ne pas utiliser les réseaux sociaux comme un outil unique de bookmarking ou de backup ou alors, multipliez les lieux de dépôts.
3.       Les conditions générales ne sont pas gravées une fois pour toute dans le marbre. Ces conditions ne cessent d’être modifiées sans communication trop visible, certainement aussi pour « noyer le poisson » d’une certaine façon. Ce qui est vrai le lundi peut être modifié drastiquement le mardi. Je ne connais personne dans mon entourage  qui a eu la ténacité de lire les dizaines de pages qui détaillent ces conditions d’utilisation. Exemple récent de ces modifications, Instagram vient d’ailleurs de se donner le droit d’utiliser toutes les photos publiées par ses membres à des fins commerciales. On peut crier au scandale, diffusez des messages virulents à leur encontre, dénoncer ces changements intempestifs et unilatéraux mais finalement, c’est leur droit premier, ce sont les fournisseurs d’un service qui vous est offert gracieusement. Je vous l’ai déjà dit : si vous profitez d’un service gratuit, c’est que VOUS êtes le produit. Et au jeu de la manipulation, ils sont les plus forts : quoi de plus efficace que de vous laisser faire joujou avec  leurs solutions gratuites pour ensuite « contraindre librement » des utilisateurs qui sont bien engagés sur le réseau, à coup de petits changements qui passent inaperçus (ou pas d’ailleurs, cf. Instagram) et qu’ils suffit de confirmer via le clic sur « OK ». Ils jouent sur des leviers très connus en psychologie sociale dans le cadre de ce qu’on appelle la théorie de l’engagement, la soumission librement consentie, l’effet de gel, l’influence sociale plus généralement (voir bas de page pour quelques lectures sur le thème de l’influence, je reviendrai sans doute sur tout cela dans un autre billet). À bon entendeur… à nouveau, personnellement, je n’ai pas la prétention de croire que les photos que je publie sur Instagram ont la moindre valeur commerciale, ni même qu’elles puissent simplement attirer leur attention. Mais il est important d’en être conscient.
Alors, faut-il tout jeter à la poubelle, se désinscrire massivement de tous les réseaux sociaux ? je pense que non : les avantages collaboratifs qui en découlent, les possibilités d’interaction, de partage, de découverte, etc. l’emportent largement sur les risques susmentionnés.
Sur le plan professionnel, j’ai rencontré plus de personnes intéressantes, ai eu  plus de propositions de collaboration et ai partagé plus de « best practices » en 2-3 ans qu’en 10 années passées à construire un réseau international au travers exclusif des workshops, séminaires, colloques  et autres meetings.
Avec le recul, j’irais même plus loin : sans les réseaux sociaux, je n’aurais jamais eu l’opportunité de participer à certains projets innovants, de rencontrer des personnes ou d’être invité à intervenir dans certains workshops et colloques ou tout simplement de profiter de l’expérience de « significant others » professionnels.
Les réseaux sociaux sont donc un excellent catalyseur pour booster le développement d’un réseau professionnel réel, pas uniquement de façade ou virtuel. Il faut simplement (parce que c’est réellement simple) les utiliser à bon escient et en pleine conscience des enjeux.
Bonne fin du monde à toutes et tous et joyeuses fêtes …
 Un peu de lecture (peut-être aussi des idées de cadeaux à mettre sous le sapin) :
·        Dans le registre ludique et didactique : Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois (2002). Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
·        Des mêmes auteurs mais plus exhaustifs sur leur théorie : Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois (1998), La soumission librement consentie, Paris, Presses Universitaires de France.
·        Un best-seller en anglais, didactique et ludique : Robert Cialdini (2001). Influence: Science and practice (4th ed.). Boston: Allyn & Bacon
·        Et puis le livre de vulgarisation illustré d’un pote français dans le registre plus large de la psychologie sociale : Sylvain Delouvée. Pourquoi faisons-nous des choses stupides ou irrationnelles ? Dunod